Jeunesse volée…
Début Mars 1943…16 heures environ
Le printemps pointe le bout de son nez. En signe de renouveau, les jeunes pousses
les marronniers de l’avenue Ledru Rollin commencent à s’ébrouer timidement.
Rewka, ses yeux d’un bleu tendre voilés de mélancolie, dans son petit logement
situé au-dessus de l’atelier d’ébénisterie de son mari, vaque à ses occupations.
L’eau chantonne dans le samovar, unique rescapé de leur départ de Vilna .
Un peu de cuisine, quelques ouvrages de couture abandonnés, car son esprit est
ailleurs. Depuis un mois déjà, son mari est parti afin de ne pas être interné.
Un bruit court, une rumeur peut être : seuls, les hommes sont emmenés dans
des camps de travail, en Allemagne ou ailleurs, nul ne le sait. Alors, ils se
cachent.
La cour vidée de sa substance n’est plus que silence.
Hiena, sa mère âgée maintenant de 77 ans, somnole dans l’unique fauteuil de
cet appartement tenu avec amour. Sa tête dodeline doucement, son menton
incliné sur sa poitrine de moins en moins opulente.
Ses mains épaisses, reposant sur ses genoux sont la cartographie de ces années de labeur en Lituanie.
Que de chemin parcouru depuis leur départ de là-bas ! La vie est tellement plus
facile maintenant qu’ils vivent en France.
Rewka aime ce faubourg, et puis le 46 lui rappelle le shtetl de son enfance.
Yacco le doreur, la plaisanterie en permanence à fleur de lèvres, comme
un hymne à la joie. La joie d’être enfin en France. Un désir tellement puissant
lorsqu’il vivait en Pologne.
Yankel le tapissier subjugue les enfants en récitant une fable De La Fontaine
en yiddish avec des semences plein la bouche. Un fakir honni par les mères
vivant dans cette cour.
Elie le laqueur aux mains cartonnées à vie par les produits employés, veuf
depuis peu, seul homme encore présent afin de ne pas abandonner sa fille.
Ces hommes animaient cet endroit, les rires fusaient, les yiddishs Litvak, et
Polak se mêlaient, donnant lieux à des moqueries réciproques.
Chaque famille échange ses recettes.
Latkes*…avec ou sans œufs ?
Gefilte fish*…salé ou sucré ?
La compétition entre les ménagères ne peut conduire qu’à la recherche de la
perfection gustative.
Le 46 du faubourg Saint Antoine, une cantine à ciel ouvert où les occupants de fenêtre en fenêtre, de porte en porte, goutent un pitselé* juste pour tester.
Seule ombre au tableau, la concierge de cette cour pas si particulière pour le
quartier. Petite, rondouillarde par le saindoux avalé, un naevus au poil démesuré s’anime dès que son menton s’agite.
déicides, elle officie depuis son mirador.
Elle passe son temps à les houspiller. Grommelant en remuant ses bajoues :
« sales youpins ».
Pourquoi sales ? demande Samy, qui en ce jour de mars, allongé nonchalamment
sur son lit cage, plus jamais replié depuis quelque temps, feuillette un illustré.
Un an déjà que Samy âgé de onze ans, ne va plus à l’école. Depuis l’obligation
de porter l’étoile jaune, et le départ de son Père, Rewka le couve un peu plus.
Et ce couvre feu ramené à dix huit heures, les contraints à rester à la maison.
Les journées sont longues pour un gamin plein d’envies !
Le décret promulgué le 29 mai 1942, et l’ordonnance entrée en vigueur à
partir du dimanche 7 juin, ont bouleversé la vie des juifs réfugiés dans
ce pays des « droits de l’homme ».
Samy rêve en observant les premiers moineaux picorer de leur bec délicat les
quelques miettes du strudel confectionné avec si peu de pommes et de sucre, mais
encore de la cannelle, son goûter d’aujourd’hui. L’insouciance de son jeune âge,
ne lui fait qu’entrevoir la réalité. Il veut jouer aux billes, rire, se promener,
aller au cinéma. Il y a tant d’interdits pour les Juifs! Il ne comprend pas.
Tel un jeune poulain, il piaffe. Il veut oublier sa condition de « sale juif »
que les enfants grands et petits, lui balancent au visage, dès lors qu’il met les
pieds dans la rue escorté par sa magnifique étoile jaune. Le regard des autres
est difficile à supporter pour un garçonnet. Pourtant vivant dans le 12 ème,
ce quartier qui est un peu un ghetto, il devrait passer inaperçu. Il faut croire
que tout Paris est devenu « anti youpin » !
Soudain, un serrement de freins, puis deux, trois, et d’autres encore, et le
crissement des pneus sur le pavé, troublent la quiétude de ce lieu maintenant
désert même en semaine.
Les portières claquent, des voix, reconnaissables entre toutes envahissent
la cour, qui par sa configuration fait caisse de résonnance. Des chiens aboient.
Les oiseaux si bavards ont suspendu leurs trilles.
Rewka, la reine des latkès, les mains souillées de pomme de terre râpée, restées en suspension, s’approche de la fenêtre.
L’effroi se lit sur son visage. Kayn aynoré* murmure-t-elle.
Samy, se faufile derrière elle et aperçoit des camions, des motos. Sa cour,
si vaste est devenue en l’espace d’un instant un énorme garage.
Pris d’un étrange malaise, un orchestre « jouant dans son ventre une grande
symphonie », la peur certainement, tel un automate, il se précipite dans
les toilettes situées sur le palier, en oubliant, dans son hébétude de mettre
le crochet intérieur.
Inconsciemment, il vient de se sauver la vie.
Ce vacarme… soudain attire les occupants aux fenêtres, la police française
et les Allemands unis pour la même cause, accompagnés par la bignole, qui
avec force salamalecs, du haut de son un mètre quarante cinq montre de son
doigt boudiné les endroits où vivent encore tant de youpins.
- Ils sont là… j’en suis sûre… allez y.
Il n’y a pas d’autre sortie.
Une fois sa peur « soulagée », il se glisse par la fenêtre des toilettes donnant sur la toiture terrasse de la loge, et repousse le ventail.
Pourquoi n’est-il pas retourné auprès de sa Mère ?
Une curiosité toute enfantine, peut être ?
L’habitude de se cacher dans ce repaire, devenu pour lui un salon de lecture ?
Un instinct de conservation ?
Le destin flirtant avec la chance ?
Tétanisé, allongé par terre, aplati comme un latkès, les yeux à hauteur du faîte
de l’acrotère, il surplombe la cour.
Deux camions bâchés, cinq motos placées en travers de la porte, chevauchées
par des hommes aux bottes accrochant les rayons du doux soleil de ce mois de renouveau, l’arme au poing ; des policiers français en pèlerine un peu en retrait,
trois molosses tenus en laisse, emplissent la cour.
Bien rôdés à ce travail, les Boches se répartissent et grimpent rapidement dans les quatre escaliers en même temps. Ils martèlent toutes les portes à coup de
crosse de fusil, tambourinent, crient.
Ouvrent celles de tous les WC.
Leurs hurlements ayant le don de faire aboyer les chiens, effraient les occupants,
pour la plupart des vieillards, des femmes et des enfants.
Cela est efficace, en moins de temps qu’il ne le faut pour le dire, dans
ce vacarme épouvantable, il voit apparaître :
- Elie le laqueur et ses mains cartonnées, sans sa fille Jeanine.
- La femme du doreur, ses deux petits rouquins accrochés à ses jupes,
tirant plutôt que ne portant une valise, et quelques sacs.
- Celle du charpentier, il manque son fils.
- Son copain Jacques, son sac de billes, son trésor de guerre dans une main et son cartable dans l’autre. Mais où est sa mère ?
Ainsi de suite au fil du temps qui passe tous les logements se trouvent
consciencieusement, méthodiquement vidés.
Puis… il les voit.
Sa mère coiffée de son chapeau des grands jours, portant plus que soutenant
sa grand-mère enveloppée dans son châle aux dessins cachemires ayant servi
d’emballage au samovar, lors de leur venue en France, et leurs maigres baluchons.
Ses yeux noyés de larme les fixent intensément.
Il veut les appeler, mais reste muet.
Il veut les rejoindre, une force surnaturelle le cloue au sol.
Pourquoi est-il incapable de crier, de bouger?
Avant de monter dans le camion, sa mère imperceptiblement lève la tête en
direction de sa planque. Elle seule connaît sa passion pour ce toit terrasse lorsqu’il désire s’isoler pour lire ou rêver.
Leurs regards peut-être échangés, ce clin œil furtif comme une bénédiction
accordée, fut longtemps pour lui un réconfort, mais il ne pouvait imaginer que
cela serait leur ultime complicité.
Enfin la caravane s’ébranle, le quota est rempli, l’immeuble est vidé, débarrassé
de sa vermine, une épuration dans les règles de l’art.
Il ne reste plus qu’à décontaminer.
Un lourd silence règne dans la cour. Les oiseaux sont-ils muets ?
Ou bien simplement, respectent-ils l’omerta ?
Incapable de bouger, il reste ancré dans le sol, des larmes silencieuses coulent
le long de son nez, arrosent ses joues, mouillent sa chemise sans qu’il ne songe
à les retenir ou les essuyer. Son corps n’est que frissons.
Inconsciemment, il sait qu’il doit se cacher de Dame Cloporte, ne l’a-t-il vu
minauder, mégère moustachue avec les vert de gris ?
La nuit tombée, délicatement il sort de son refuge. Les chaussures à la main,
il monte les quelques marches le séparant de l’appartement. Il pousse la porte,
celle-ci juste appuyée sur le chambranle, s’ouvre. Il a toujours pensé que c’était
un acte volontaire de sa mère. Sa façon de le protéger, une dernière fois.
Il rentre, et la referme doucement.
Affalé sur son lit, il a pleuré très longtemps, jusqu’à ce que le sommeil tarisse
ce déluge.
Tôt réveillé, par une aube indiscrète, les volets étant restés ouverts,
il a préparé quelques effets, des babioles inutiles, pris de la nourriture et
les illustrés et il a attendu que la pipelette, comme chaque matin parte
faire son marché à Aligre, et biberonner en chemin.
Prestement, il s’est retrouvé dans le faubourg.
Couvé par sa Mère, il ne connaît pas l’adresse de ses oncles et tantes
demeurant à quelques arrondissements de là.
Il a onze ans. Où se réfugier ?
Il erre, combien de temps, il ne saurait le dire, sa mémoire a occulté une
grande partie de cette période.
Il se rappelle vaguement avoir dormi dans des escaliers, dans des toilettes,
de la faim ressentie. Il restait dans son quartier, espérant rencontrer des
têtes connues et amicales, et puis c’était son unique univers. Il n’avait pas
l’habitude de sortir seul, il avait peur de se perdre, mais n’était-il pas perdu ?
Comment a-t-il rencontré le fils du charpentier, absent le jour de la rafle ?
Il ne se souvient plus. Un miracle. Le destin décidément clément avec lui, une
fois encore.
Un peu plus âgé que lui, il le prit sous son aile et l’emmena rue Amelot, mais là
aussi tout est flouté.
Après, les choses vont s’enchaîner très vite.
Des noms comme David Rapoport, Jacoubovitch, comité Amelot tournent
dans sa tête, sans qu’il puisse les rattacher à un personnage, un évènement, une
situation. Qu’ont-ils fait pour lui ?
Une moustache, une barbiche, des lunettes rondes, en métal ou écaille peut être,
il est incapable de dire si tout cela appartenait à la même tête.
La douce voix d’Esther chante dans son oreille, mais il ne saurait la reconnaître.
Il a changé de nom. Pendant quelques semaines, il a eu une formation en règle,
un entraînement digne des meilleurs espions.
Gilbert Morelaz, il s’appelle Gilbert Morelaz.
Pendant des jours et des jours, des semaines, des mois, peut être, il avait perdu
la notion d’un temps qui n’existait plus pour lui, il répétait ce nom devenu par
la magie des faussaires et de magnifiques faux papiers : son nom.
Gilbert Morelaz, petit garçon de 11 ans, né à Annecy, prenait le train ce mercredi avec sa « tante » pour rejoindre sa pension.
Les siens, où étaient-ils ?
Comment se retrouver, maintenant qu’il s’appelle Gilbert Morelaz ?
Cette question l’obsédait.
Dans le train, il doit dormir, c’est la consigne !
Somnoler le plus possible, notamment lors des contrôles de papiers.
Les paupières mi-closes, la tête douillettement appuyée sur les oreillettes
des sièges en velours rouge des premières classes interdites aux Juifs, il voit
défiler les paysages de la France occupée.
« Sa tante » lit.
Il la regarde en douce, son tailleur gris chiné est habillé d’une étole en renard
argenté.
Renard argenté…il doit oublier ces mots tellement répétés avec son copain
le fils du fourreur, dans un fou rire, lorsqu’ils imitaient l’accent yiddish des
clientes :
- Bonjour, Missiou, je voudrais un manteau en Rinart argeonté »
La ligne de démarcation, enfin.
Cette première partie de voyage lui sembla si longue, le train lambinait,
s’arrêtait, repartait pour s’arrêter encore. Sa tante, imperturbable lisait,
toutefois il s’aperçu qu’elle tournait rarement les pages !
Lorsque des hommes en longs manteaux de cuir se présentèrent à l’entrée
de leur compartiment, sous ses paupières entrebâillées il ne vit que leurs pieds
astiqués, lustrés, luisants, immenses, inquisiteurs.
Ces arpions l’observaient.
Il sentit une douce chaleur envahir son caleçon !
Puis ce fut le trou noir.
Etait-il endormi réellement ?
Etait-il évanoui ?
Gilbert murmure « sa tante », nous sommes arrivés.
Il est incapable d’évaluer le temps passé dans ce train, mais en gare
d’Annecy ses gadkess étaient secs.
Il fit connaissance avec les montagnes et trouvait tous ces sapins verts,
bleus, noirs, supportant encore le poids de la neige, alignés comme à la parade
à flanc de rocher...magnifiques.
Et ces petits chalets en rondin de bois. En regardant ce paysage, il pensait à la description de la terre lointaine d’où venait sa famille…sa famille, où était-elle ?
Sa « tante » habitait dans un château, et « Madame La Baronne » comme le
personnel l’appelait lui montra sa chambre.
Interdiction de sortir !
Caché, de nouveau soustrait aux regards des autres, il n’échangeait que quelques
paroles avec sa « Tante » qui quatre fois par jour lui apportait ses repas.
Le reste du temps qui était suspendu à tous les égards, il jouait avec une plume
sortant d’un édredon ; une ficelle avec laquelle il faisait la tour Eiffel, et toutes ces figures apprises avec les copains ; un rayon de soleil filtrant à travers les rideaux ;
un callot trouvé dans le fond de sa poche, et il relisait pour la énième fois les
illustrés de plus en plus écornés.
Un jour, lequel ?
Elle lui explique qu’il doit rejoindre son école, située dans la montagne, pas très loin de la frontière suisse.
Il croit être resté un an dans cette école à classe unique. C’était plutôt un
pensionnat, car il y dormait. Quoique, ils n’étaient pas nombreux à rester
le soir, trois ou quatre tout au plus, dans cette chambre chaulée pour l’occasion
dans le coin le plus reculé du presbytère. Des lits en fer geignards, emplissaient
leurs nuits de grincements inquiétants, dès que l’un d’eux s’agitait.
A cette époque le cauchemar était à la mode.
Imaginez la musique. C’était à celui qui donnait le plus beau concerto en
la mineur pour enfants perdus dans un monde en folie !
Il apprit à répondre très vite, lorsqu’on l’interrogeait sur ses parents…restés
sous les décombre d’un quelconque bombardement !
Il devait faire pipi, sans fanfaronnade…ne pas montrer son zizi, lui avait
recommandé sa Tante.
Que de fois n’a-t-il regardé en douce, cette maudite quéquette, cherchant dans
les plus petits replis de peau le défaut l’obligeant à la cacher.
Mais où était la tare ?
Le plus difficile pour lui : répondre présent en levant le doigt à l’appel du nom de Gilbert Morelaz.
- Je n’étais plus moi, dira-t-il.
La nuit sur son sommier musical, une question le hante : qui est-il: Morelaz
le montagnard, ou Samy le petit Juif du faubourg ?
Il est Gilbert Morelaz et ne peut répondre à cette angoisse prégnante
devenue lancinante au fil du temps : Comment retrouver ses parents, si
Samy n’existe plus ?
Où était sa mère, son père ? Personne ne peut le renseigner.
En cours d’année scolaire, en pleine nuit, il fut embarqué vers la Suisse,
très vite, direction Annemasse.
Même la campagne savoyarde est devenue dangereuse pour le petit youpin
qu’il est resté au fond de ses pantalons. Monsieur le curé à peur. Ses copains
de chambrée et lui-même devront partir.
Un miracle de plus, car à Annemasse, il va retrouver sa vraie tante.
La guerre est finie, ils rentrent à Paris.
Il entend parler du Lutétia, il entraîne sa tante Hannah, peu encline
à le laisser contempler les ombres qui par vagues reviennent…reviennent d’où ?
Il ne comprend pas pourquoi, seules les personnes âgées sont libérées.
Voilà pourquoi ses parents ne sont pas là, sa mère n’a que quarante ans et son
père un peu plus. On donne la priorité aux aînés. Les plus jeunes reviendront
plus tard !
E t ces vieillards, maigres, hagards, affamés, qui continuent d’occuper l’hôtel.
Il ne pouvait deviner que certains étaient beaucoup plus jeunes que ses parents.
Il attend.
Tous les jours, il s’invente des scénarios plus plausibles les uns que les autres.
Demain ils seront là.
Et un autre demain, succède au demain d’hier.
Pour le soustraire à ce supplice, sa tante veut l’emmener à Reims.
Il refuse. Il s’est débarrassé de Gilbert Morelaz, il ne doit pas changer d’adresse,
sinon comment se retrouveront-ils ?
Il veut aller vivre avec elle dans l’appartement du Faubourg.
Sa détermination est si forte qu’elle cède à ses suppliques, connaissant les dégâts émotionnels que la réalité ne va pas manquer de lui faire subir.
L’atelier de son père, exploité par un Aryen.
Celui du tapissier, c’est le même refrain.
La cour s’est dés enjuivée.
L’appartement de ses parents, son chez lui, occupé par une autre famille…
les meubles, les vêtements, plus rien
Pour se disculper, les locataires remettront à sa tante le samovar, et leur
claqueront la porte au nez.
Il doit se rendre à l’évidence, il n’a plus de maison, a-t-il encore
des parents ?
Brusquement, il est expulsé de son enfance, de son adolescence, plus de souvenir,
plus rien, on lui a tout volé, et pourtant à cette époque, il pensait encore
que ses parents reviendraient.
Ils s’installèrent chez l’oncle Yankel , dans le 10ème pour attendre .
Combien de temps ? Il ne sait plus.
Le trou noir, il a beau fouiller sa mémoire, plus aucun indice, pas la plus
petite information lui permettent de dire que tel jour de tel mois de
l’année 1945, il a enfin reçu des nouvelles laconiques et officielles.
C’est arrivé. C’est tout.
D’abord Hiena, sa grand-mère disparue à Auschwitz convoi n° 49
du 2 mars 1943
Puis, Rewka, sa mère à Sobibor convoi n°52 du 23 mars 1943
Et, enfin la merveilleuse nouvelle, son Père, libéré à Weimar
en 1945, par les Américains.
Où est-il ?
Pourquoi, n’est-il pas encore revenu ?
Il n’y a pas si longtemps, une personne digne de confiance, lui a assuré l’avoir aperçu à Odessa.
Il doit être retenu par les Russes, pense-t-il.
Il veut être là pour son retour.
Il veut être présent, l’entourer, le choyer.
Il a tellement besoin de lui, il rêve d’entendre son rire, son accent.
Il est tous ses souvenirs.
Un conseil de famille nomma sa tante tutrice, jusqu’au retour de son Père.
Personne ne lui demanda son avis.
Il fut assigné à résidence à Reims, lui le petit Parigot a qui l’on n’a pas laissé le
temps de découvrir, d’arpenter, d’ humer sa ville.
Il ne connaît même pas l’hôpital Rothschild !
Son Père ne reviendra pas, emporté par le typhus, quinze jours après sa libération.
extrait du 3ème livre de Julia :Nuit de noce, récits partagés copyright