Votre rue : un village…dans la ville !
Les gens se parlent de fenêtre à fenêtre, et tu n’es pas la dernière, avec ta petite copine de l’immeuble d’en face.
Quel bagout vous avez, de vraies bonimenteuses de foire !
Tout le monde se connait :
- Charles : le boucher, ses cheveux ont déserté son crâne pour se loger sur ses avant bras.
Crois tu que Monsieur Antoine, lui fait des indéfrisables ?
-la crémière et son lait crémeux servit à la mesure.
N’as-tu pas encore dans les oreilles le bruit des énormes bidons s’entrechoquant sur la plate forme de la voiture menée par deux chevaux, et le Ho ! Guttural du conducteur. Dans un demi -sommeil, tu devines le lever du jour.
- Thérèse. Elle vend de la lingerie, à l’enseigne : « chez Peggy»… Pourquoi ? Mystère ! Souvenir d’un doux nom… susurré par un soldat américain !
… ?...
Elle remaille les bas.
Ses doigts potelés, aux ongles si longs, si rouges te fascinent, lorsqu’ils pianotent pour trouver parmi les petits sacs de bas remaillés la commande de Madame Mère.
Ah ! L’odeur de Thérèse… plus tard tu veux sentir comme elle !
Tu envies tous ces flacons que tu devines, fouineuse que tu es, sur sa coiffeuse, dans l’arrière boutique lui servant de studio.
Ces petites fioles pour élixir capiteux, répondent aux jolis noms de : Vol de Nuit, Jolie Madame…
Et… tu l’imagines, assise devant sa glace…poser avec le même rituel, chaque jour, deux gouttes derrière chaque oreille, deux aux creux du poignet pour un baisemain coquin, et quelques autres, dans cette vallée si intime située entre ses deux mamelons rebondis.
Une symphonie de grâce et de rondeurs conjuguée…
Ses cheveux blonds rosés, mousseux comme le champagne, dansent la ronde des accroches cœur…
Betty Boop !
Tu regardes dans sa vitrine, ces merveilleux petits riens faits de dentelles, de rubans, de soieries. Des froufrous…déposés sur un coussin de velours.
Et ces robes de chambre, qu’elle appelle déshabillés, faits de voile de lune, bordés de cygne, si transparents … c’est beau…tu aimerais les caresser.
Déshabillés…ce mot te fait rêver !
Pourquoi ne les retrouves-tu pas dans le tiroir de ta Mère ?
Est-ce pour les cocottes ?
Surement… Thérèse n’a-t-elle pas les ongles peints !
-Dans la matinée, le glacier passe. Sa voiture bleue et blanche, est tirée par un seul cheval, souvent un percheron. L es sacs de jute protègent les pains de glace.
…Ne pas oublier de mettre la bassine au pied de l’escalier !
Tu regimbes un peu, car…
…Il est lourd ce pain de glace que tu dois monter au 4ème étage, sans ascenseur, cela va de soi. La récompense te fait oublier ta peine : de l’eau bien fraiche avec une larme de café.
Ton premier cocktail !
Et puis pense à ta Mère qui se coltine les seaux remplis de charbon depuis la cave, un étage de plus !
Malgré ce confort très rudimentaire, la vie est douce, c’est l’après guerre. Les marchandes de quatre saisons, font florès, toutes rondes, enveloppées dans leur grand tablier bleu, avec une poche ventrale, comme les kangourous ! Elles se hèlent, se chicanent parfois, avec une gouaille qui ravit le chaland.
Le vitrier appel, V.I.T.R.I.E.R.
Tu l’imites.
Ciseaux, couteaux, crie le rémouleur.
Lui, tu ne l’approches pas, car la meule à aiguiser lance des étincelles ; tu en as peur!
L’été, en fin de journée, les chanteurs des rues viennent dans les cours, tu aimes les écouter et surtout envelopper consciencieusement dans du papier journal une grosse pièce grise de cinq francs. Tu la jettes par la fenêtre.
Quelquefois, ta Mère achète la partition…tu apprendras ainsi par cœur « les roses blanches » et « du gris que l’on roule dans ses doigts… »
Cela fait bien longtemps que je ne t’ai pas entendu chanter…
De la fenêtre, tu regardes avec envie, les fillettes jouer à la marelle, mais tu connais le refrain?
Dit en « la majeur », cela va de soit !
Ne jamais descendre seule, dans la rue.
Et le bougnat ? Tu le trouves sale, lorsque tu le vois passer avec un sac de charbon sur son dos, ou tirer…sur les pavés luisants…tirer… tirer encore, pencher à l’oblique, sa voiture à bras…toute noire elle aussi…
Tu vas à l’école avec sa fille, mais tu refuses de l’approcher car elle est comme son père, noire, malgré son gros nœud blanc, ressortant sur sa peau dans laquelle le poussier de charbon a élu domicile.
Déjà petite peste ! Tu ne touches pas aux enfants sales !