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18 juillet 2012 3 18 /07 /juillet /2012 15:08

 

 

Jeunesse volée…

 

Début Mars 1943…16 heures environ

 

Le printemps pointe le bout de son nez. En signe de renouveau, les jeunes pousses

 les marronniers de l’avenue Ledru Rollin commencent à s’ébrouer timidement. 

 Rewka, ses yeux d’un bleu tendre voilés de mélancolie,  dans son petit logement

 situé au-dessus de l’atelier d’ébénisterie de son mari, vaque à ses occupations.

L’eau chantonne dans le samovar, unique rescapé de leur départ de Vilna .

Un peu de cuisine, quelques ouvrages de couture abandonnés, car son esprit est

ailleurs. Depuis un mois déjà, son mari est parti afin de ne pas être interné.

 Un bruit court, une rumeur peut être : seuls, les hommes sont emmenés dans

 des camps de travail, en Allemagne ou ailleurs, nul ne le sait. Alors, ils se

 cachent.

La cour vidée de sa substance n’est plus que silence.

 

Hiena, sa mère âgée maintenant de 77 ans, somnole dans l’unique fauteuil de

 cet appartement tenu avec amour. Sa tête dodeline doucement, son menton

incliné sur sa poitrine de moins en moins opulente.

Ses mains épaisses,  reposant sur ses genoux sont la cartographie de ces années de labeur en Lituanie.

Que de chemin parcouru depuis leur départ de là-bas ! La vie est tellement plus

 facile maintenant qu’ils vivent en France.

Rewka aime ce faubourg, et puis le 46 lui rappelle le shtetl de son enfance.

 

Yacco le doreur, la plaisanterie en permanence à fleur de lèvres, comme

un hymne à la joie. La joie d’être  enfin en France. Un désir tellement puissant

 lorsqu’il vivait en Pologne.

 

Yankel le tapissier subjugue les enfants en récitant une fable  De La Fontaine

en yiddish avec  des semences plein la bouche. Un fakir honni par les mères

vivant dans cette cour.

 

Elie le laqueur aux mains cartonnées à vie par les produits employés, veuf

 depuis peu, seul homme encore présent afin de ne pas abandonner sa fille.

 

Ces hommes animaient cet endroit, les rires fusaient, les yiddishs Litvak, et

 Polak se mêlaient,  donnant lieux à des moqueries réciproques.

Chaque famille échange ses recettes.

Latkes*…avec ou sans œufs ?

Gefilte fish*…salé ou sucré ?

 

La compétition entre les ménagères ne peut conduire qu’à la recherche de la

perfection gustative.

Le 46 du faubourg Saint Antoine, une cantine à ciel ouvert où les occupants de fenêtre en fenêtre, de porte en porte, goutent un pitselé* juste pour tester.

 

Seule ombre au tableau, la concierge de cette cour pas si particulière pour le

 quartier. Petite, rondouillarde par le saindoux avalé, un naevus au  poil démesuré  s’anime dès que son menton s’agite. 

déicides, elle officie depuis son mirador.

Elle passe son temps à les houspiller. Grommelant en remuant ses bajoues :

« sales youpins ».

Pourquoi sales ? demande Samy, qui en ce jour de mars, allongé nonchalamment

 sur son lit cage, plus jamais replié depuis quelque temps,  feuillette un illustré.

Un an déjà que Samy âgé de onze ans, ne va plus à l’école. Depuis l’obligation

de porter l’étoile jaune, et le départ de son Père, Rewka le couve un peu plus.

Et ce couvre feu ramené à dix huit heures, les contraints à rester à la maison.

 Les journées sont longues pour un gamin plein d’envies !

 

Le décret promulgué le 29 mai 1942, et l’ordonnance entrée en vigueur à

partir du dimanche 7 juin, ont bouleversé la vie des juifs réfugiés dans

ce pays des « droits de l’homme ».

 

Samy rêve en observant les premiers moineaux picorer de leur bec délicat les

 quelques miettes du strudel confectionné avec si peu de pommes et de sucre, mais

encore de la cannelle, son goûter d’aujourd’hui. L’insouciance de son jeune âge,

ne lui fait qu’entrevoir la réalité. Il veut jouer aux billes, rire, se promener,

aller au cinéma. Il y a tant d’interdits pour les Juifs! Il ne comprend pas.

 

Tel un jeune poulain, il piaffe. Il veut  oublier sa condition de « sale juif »

que les enfants grands et petits, lui balancent au visage, dès lors qu’il met les

 pieds dans la rue escorté par sa magnifique étoile jaune. Le regard des autres

est difficile à supporter pour un garçonnet. Pourtant vivant dans le 12 ème,

ce quartier qui est un peu un ghetto, il devrait passer inaperçu. Il faut croire

que tout Paris est devenu « anti youpin » !

 

Soudain, un serrement de freins, puis deux, trois, et d’autres encore, et le

crissement des pneus sur le pavé, troublent la quiétude de ce lieu maintenant 

 désert même en semaine.

Les portières claquent, des voix, reconnaissables entre toutes envahissent

la cour, qui par sa configuration fait caisse de résonnance. Des chiens aboient.

Les oiseaux si bavards ont suspendu leurs trilles.

Rewka, la reine des latkès, les mains souillées de pomme de terre râpée, restées en suspension,   s’approche de la fenêtre.

L’effroi se lit sur son visage. Kayn aynoré* murmure-t-elle.

 

Samy, se faufile derrière elle et aperçoit des camions, des motos. Sa cour,

si vaste est devenue en l’espace d’un instant un énorme garage.

Pris d’un étrange malaise, un orchestre « jouant dans son ventre une grande

 symphonie », la peur certainement, tel un automate, il se précipite dans

les toilettes situées sur le palier, en oubliant, dans son hébétude de mettre

le crochet intérieur.

Inconsciemment, il vient de se sauver la vie.

 

Ce vacarme… soudain attire les occupants aux fenêtres, la police française

et les Allemands unis  pour la même cause, accompagnés par la bignole, qui

avec force salamalecs, du haut de son un mètre quarante cinq montre de son

doigt boudiné les endroits où vivent encore tant de youpins.

-        Ils sont là… j’en suis sûre… allez y.

 Il n’y a pas d’autre sortie.

 

Une fois sa peur « soulagée », il se glisse par la fenêtre des toilettes donnant sur la toiture terrasse de la loge, et repousse le ventail.

Pourquoi n’est-il pas retourné auprès de sa Mère ?

Une curiosité toute enfantine, peut être ?

L’habitude de se cacher dans ce repaire, devenu pour lui un salon de lecture ?

 Un instinct de conservation ?

Le destin flirtant avec la chance ?

Tétanisé, allongé par terre, aplati comme un latkès,  les yeux à hauteur du faîte

de l’acrotère, il surplombe la cour.

 

Deux camions bâchés, cinq motos placées en travers de la porte, chevauchées

 par des hommes aux bottes accrochant les rayons du doux soleil de ce mois de renouveau, l’arme au poing ; des policiers français en pèlerine un peu en retrait,

 trois molosses tenus en laisse, emplissent la cour.

 

Bien rôdés à ce travail, les Boches se répartissent et grimpent rapidement dans les quatre escaliers en même temps. Ils martèlent toutes les portes à coup de

crosse de fusil, tambourinent, crient.

 Ouvrent celles de tous les WC.

 

 Leurs hurlements ayant le don de faire aboyer les chiens, effraient les occupants,

 pour la plupart des vieillards, des femmes et des enfants.

Cela est efficace, en moins de temps qu’il ne le faut pour le dire, dans

ce vacarme épouvantable, il voit apparaître :

-        Elie le laqueur et ses mains cartonnées, sans sa fille Jeanine.

-         La femme du doreur, ses deux petits rouquins accrochés à ses jupes,

     tirant plutôt que ne portant une valise, et quelques sacs.

-        Celle du charpentier, il manque son fils.

-        Son copain Jacques, son sac de billes, son trésor de guerre dans une main et son cartable dans l’autre. Mais où est sa mère ?

Ainsi de suite au fil du temps qui passe tous les logements se trouvent

consciencieusement, méthodiquement vidés.

Puis… il les voit.

 

Sa mère coiffée de son chapeau des grands jours, portant plus que soutenant

sa grand-mère enveloppée dans son châle aux dessins cachemires ayant servi

 d’emballage au samovar, lors de leur venue en France, et leurs maigres baluchons.

Ses yeux noyés de larme les fixent intensément.

Il veut les appeler, mais reste muet.

Il veut les rejoindre, une force surnaturelle le cloue au sol.

 

Pourquoi est-il incapable de crier, de bouger?

 

Avant de monter dans le camion, sa mère imperceptiblement lève la tête en

direction de sa planque. Elle seule connaît sa passion pour ce toit terrasse lorsqu’il désire s’isoler pour lire ou rêver.

Leurs regards peut-être échangés, ce clin œil furtif comme une bénédiction

 accordée,  fut longtemps pour lui un réconfort, mais il ne pouvait imaginer que

 cela serait leur ultime complicité.

Enfin la caravane s’ébranle, le quota est rempli, l’immeuble est vidé, débarrassé

  de sa vermine, une épuration dans les règles de l’art.

Il ne reste plus qu’à décontaminer.

 

Un lourd silence règne dans la cour. Les oiseaux sont-ils muets ?

Ou bien simplement, respectent-ils l’omerta ?

 

Incapable de bouger, il reste ancré dans le sol, des larmes silencieuses coulent

le long de son nez, arrosent ses joues, mouillent sa chemise sans qu’il ne  songe

 à les retenir ou les essuyer. Son corps n’est que frissons.

Inconsciemment, il sait qu’il doit se cacher de Dame Cloporte, ne l’a-t-il vu

minauder, mégère moustachue avec  les vert de gris ?

 

La nuit tombée, délicatement il sort de son refuge. Les chaussures à la main,

 il monte les quelques marches le séparant de l’appartement. Il pousse la porte,

celle-ci juste appuyée sur le chambranle, s’ouvre. Il a toujours pensé que c’était

 un acte volontaire de sa mère. Sa façon de le protéger, une dernière fois.

 Il rentre, et la referme doucement.

 Affalé sur son lit, il a pleuré très longtemps, jusqu’à ce que le sommeil tarisse

 ce déluge.

Tôt réveillé, par une aube  indiscrète, les volets étant restés ouverts,

il a préparé quelques effets, des babioles inutiles,  pris de la nourriture et

 les illustrés et il a attendu que  la pipelette,  comme chaque matin parte

faire son marché à Aligre, et biberonner en chemin.

Prestement, il s’est retrouvé dans le faubourg.

 

Couvé par sa Mère, il ne connaît pas l’adresse de ses oncles et tantes

demeurant à quelques arrondissements de là.

 

Il a onze ans. Où  se réfugier ?

 

Il erre, combien de temps, il ne saurait le dire, sa mémoire a occulté une

grande partie de cette période.

Il se rappelle vaguement avoir dormi dans des escaliers, dans des toilettes,

de la faim ressentie. Il  restait dans son quartier, espérant rencontrer des

têtes connues et amicales, et puis c’était son unique univers. Il n’avait pas

l’habitude de sortir seul, il avait peur de se perdre, mais n’était-il pas perdu ?

Comment a-t-il rencontré le fils du charpentier, absent le jour de la rafle ?

Il ne se souvient plus. Un miracle. Le destin décidément clément avec lui, une

 fois encore.

Un peu plus âgé que lui, il le prit sous son aile et l’emmena rue Amelot, mais là

 aussi tout est flouté.

Après, les choses vont s’enchaîner très vite.

Des noms comme David Rapoport, Jacoubovitch, comité Amelot tournent

dans sa tête, sans qu’il puisse les rattacher à un personnage, un évènement, une

 situation. Qu’ont-ils fait pour lui ?

Une moustache, une barbiche, des lunettes rondes, en métal ou écaille peut être,

il est incapable de dire si tout cela appartenait à la même tête.

La douce voix d’Esther chante dans son oreille, mais il ne saurait la reconnaître.

Il a changé de nom. Pendant quelques semaines, il a eu une formation en règle,

un entraînement digne des meilleurs espions.

Gilbert Morelaz, il s’appelle Gilbert Morelaz.

Pendant des jours et des jours, des semaines, des mois, peut être, il avait perdu

la notion d’un temps qui n’existait plus pour lui,  il répétait ce nom devenu par

la magie des faussaires et de magnifiques faux papiers : son nom.

 

Gilbert Morelaz, petit garçon de 11 ans, né à Annecy, prenait le train ce mercredi avec sa « tante » pour rejoindre sa pension.

 

Les siens, où étaient-ils ?

Comment se retrouver, maintenant qu’il s’appelle Gilbert Morelaz ?

Cette question l’obsédait.

Dans le train, il  doit dormir, c’est la consigne !

Somnoler le plus possible, notamment lors des contrôles de papiers.

Les paupières mi-closes, la tête douillettement appuyée sur les oreillettes

des sièges en velours rouge des premières classes interdites aux Juifs, il voit

défiler les paysages de la France occupée.

« Sa tante » lit.

Il la regarde en douce, son tailleur gris chiné est habillé d’une étole en renard

argenté.

  Renard argenté…il doit oublier ces mots tellement répétés avec son copain

le fils du fourreur, dans un fou rire, lorsqu’ils imitaient l’accent yiddish des

 clientes :

-         Bonjour, Missiou, je voudrais un manteau en Rinart argeonté »

 

La ligne de démarcation, enfin.

 

 Cette première partie de voyage lui sembla si longue, le train lambinait,

s’arrêtait, repartait pour s’arrêter encore. Sa tante, imperturbable lisait,

toutefois il s’aperçu qu’elle tournait rarement les pages !

Lorsque des hommes en longs manteaux de cuir se présentèrent à l’entrée

de leur compartiment, sous ses paupières entrebâillées il ne vit que leurs pieds

astiqués, lustrés, luisants,  immenses, inquisiteurs.

Ces  arpions l’observaient.

Il  sentit une douce chaleur envahir son caleçon !

Puis ce fut le trou noir.

Etait-il endormi réellement ?

Etait-il évanoui ?

 

Gilbert murmure « sa tante », nous sommes arrivés.

Il est incapable d’évaluer le temps passé dans ce train, mais en gare 

 d’Annecy ses gadkess étaient secs.

Il fit connaissance avec les montagnes et trouvait tous ces sapins verts,

bleus,  noirs, supportant encore le poids de la neige,  alignés comme à la parade

à flanc de rocher...magnifiques.

Et ces petits chalets en rondin de bois. En regardant ce paysage, il pensait à  la description de la terre lointaine d’où venait sa famille…sa famille, où était-elle ?

 

Sa « tante » habitait dans un château, et « Madame La Baronne » comme le

personnel l’appelait lui montra sa chambre.

Interdiction de sortir !

 

Caché, de nouveau soustrait aux regards des autres, il n’échangeait que quelques

 paroles avec sa « Tante » qui quatre fois par jour lui apportait ses repas.

 Le reste du temps qui était suspendu à tous les égards, il jouait avec une plume

sortant d’un édredon ; une ficelle avec laquelle il faisait la tour Eiffel, et toutes ces figures apprises avec les copains ; un rayon de soleil filtrant à travers les rideaux ; 

 un callot trouvé dans le fond de sa poche, et il relisait pour la énième fois les

illustrés de plus en plus écornés.

Un jour, lequel ?

 

Elle lui explique qu’il doit rejoindre son école, située dans la montagne,  pas très loin de la frontière suisse.

 

Il croit être resté un an dans cette école à classe unique. C’était plutôt un

pensionnat, car il y  dormait. Quoique, ils n’étaient pas nombreux à rester

 le soir, trois ou quatre  tout au plus, dans cette chambre chaulée pour l’occasion

 dans le coin le plus reculé  du presbytère. Des lits en fer geignards,  emplissaient

leurs nuits de grincements inquiétants, dès que l’un d’eux s’agitait.

A cette époque le cauchemar était à la mode.

Imaginez la musique. C’était à celui qui donnait le plus beau concerto en

la mineur pour enfants perdus dans un monde en folie !

Il apprit à répondre très vite, lorsqu’on l’interrogeait sur ses parents…restés

 sous les décombre d’un quelconque bombardement !

Il devait faire pipi, sans fanfaronnade…ne pas montrer son zizi, lui avait

recommandé  sa Tante.

 Que de fois n’a-t-il regardé en douce, cette maudite quéquette, cherchant dans

les plus petits replis de peau le défaut l’obligeant à la cacher.

Mais où était la tare ?

Le plus difficile pour lui : répondre présent en levant le doigt à l’appel du nom de Gilbert Morelaz.

-        Je n’étais plus moi, dira-t-il.

La nuit sur son sommier musical, une question le hante : qui est-il: Morelaz

 le montagnard, ou Samy le petit Juif du faubourg ?

 

Il est Gilbert Morelaz et ne peut répondre à cette angoisse prégnante

 devenue lancinante au fil du temps : Comment retrouver ses parents, si

Samy n’existe plus ?

 

Où était sa mère, son père ? Personne ne peut le renseigner.

 

En cours d’année scolaire, en pleine nuit,  il fut embarqué vers la Suisse,

 très vite, direction Annemasse.

Même la campagne savoyarde est devenue dangereuse pour le petit youpin

 qu’il est resté au fond de ses pantalons. Monsieur le curé à peur. Ses copains

 de chambrée et lui-même devront  partir.

 

Un miracle de plus, car à Annemasse, il va retrouver sa vraie tante.

 

La guerre est finie, ils rentrent  à Paris.

 

Il entend parler du Lutétia, il entraîne sa tante Hannah, peu encline

à le laisser contempler les ombres qui par vagues reviennent…reviennent d’où ?

 

Il ne comprend  pas pourquoi, seules les personnes âgées sont libérées.

Voilà pourquoi ses parents ne sont pas là, sa mère n’a que quarante ans et son

père un peu plus. On donne la priorité aux aînés. Les plus  jeunes reviendront

 plus tard !

E t ces vieillards, maigres, hagards, affamés, qui continuent  d’occuper l’hôtel.

Il ne pouvait deviner que certains étaient beaucoup plus jeunes que ses parents.

Il attend.

Tous les jours, il s’invente des scénarios plus plausibles les uns que les autres.

Demain ils seront là.

Et un autre demain, succède au demain d’hier.

 

Pour le soustraire à ce supplice, sa tante veut l’emmener à Reims.

Il refuse. Il s’est débarrassé de Gilbert Morelaz, il ne doit pas changer d’adresse,

sinon comment se retrouveront-ils ?

 

Il veut  aller vivre avec elle dans l’appartement du Faubourg.

Sa détermination est si forte qu’elle cède à ses suppliques, connaissant les dégâts émotionnels que la réalité ne va pas manquer de lui faire subir.

 

L’atelier de son père, exploité par un Aryen.

Celui du tapissier, c’est le même refrain.

La cour s’est dés enjuivée.

 

L’appartement de ses parents, son chez lui, occupé par une autre famille…

les meubles,  les vêtements, plus rien

Pour se disculper, les locataires remettront à sa tante le samovar, et leur

claqueront la porte au nez.

Il doit se rendre à l’évidence, il n’a plus de maison, a-t-il encore

des parents ?

 

Brusquement, il est expulsé de son enfance, de son adolescence, plus de souvenir,

plus rien, on lui a tout volé, et pourtant à cette époque, il pensait encore

que ses parents reviendraient.

Ils s’installèrent chez l’oncle Yankel , dans le 10ème  pour attendre .

 

Combien de temps ? Il ne sait plus.

Le trou noir, il a beau fouiller sa mémoire, plus aucun indice, pas la plus

 petite information lui permettent de dire que tel jour de tel mois de

l’année 1945, il a enfin reçu des nouvelles laconiques et officielles.

C’est arrivé. C’est tout.

D’abord Hiena, sa grand-mère disparue à Auschwitz convoi n° 49

du 2 mars 1943

Puis, Rewka, sa mère à Sobibor convoi n°52 du 23  mars 1943

Et, enfin la  merveilleuse nouvelle, son Père, libéré à Weimar

en 1945, par les Américains.

Où est-il ?

Pourquoi, n’est-il pas encore revenu ?

Il n’y a pas si longtemps, une personne digne de confiance, lui a assuré l’avoir aperçu à Odessa.

Il doit être retenu par les Russes, pense-t-il.

Il veut être là pour son retour.

Il veut être présent, l’entourer, le choyer.

Il a tellement besoin de lui, il rêve d’entendre son rire, son accent.

Il est tous ses souvenirs.

 

Un conseil de famille nomma sa tante tutrice, jusqu’au retour de son Père.

Personne ne lui demanda son avis.

Il fut assigné à résidence à Reims, lui le petit Parigot  a qui l’on n’a pas laissé le

temps de découvrir, d’arpenter, d’ humer  sa ville.

Il ne connaît  même pas l’hôpital Rothschild !

 

Son Père ne reviendra pas, emporté par le typhus, quinze jours après sa libération.

 

 

extrait du 3ème livre de Julia :Nuit de noce, récits partagés  copyright

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17 juillet 2012 2 17 /07 /juillet /2012 14:53

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Tel Aviv. 1957

 

Dans l’avenue Dizengoff, Roger  marche d’un bon pas. Il traverse le square.

 Il fait bon en ce mois d’octobre, la touffeur est moins oppressante. Il  n’aime

 pas la chaleur. Son organisme habitué aux grands froids, regimbe dès que le

baromètre danse la Hora*.

Pourquoi avoir accepté l’invitation de son associé ?

-        Yom kippour à la maison, incontournable,  lui a-t-il dit.

Mais, Il ne veut plus entendre parler de Pourim, Roch Hachana, Kippour,  Pessah, etc. Il a occulté ces réunions de familles, ces fêtes, ces  traditions, désapprit la

 religion, annihilé sa mémoire, afin d’effacer à jamais l’avenue Parmentier.

Penser à ce morceau de vie amputé par d’autres ?

Une idée insupportable pour lui.

L’amnésie est préférable actuellement. Après…il verra.

Il longe le café Cassit. Parvenu devant l’immeuble Bauhaus, construit depuis

dix ans environ, avec ses balcons en mamelons rebondis, et  ses jardinets circulaires,

 il hésite.

Pourquoi ne pas passer cette soirée dans son quartier général ?

Le café Rowal, ce nouvel endroit devenu à la mode très rapidement, est fréquenté

par la classe huppée de la ville. Il y a ses habitudes, depuis que Yoèl, son associé, l’a présenté.

Mais…  c’est Yom Kippour. Il est fermé!

 

Devant la porte de ce bel immeuble cossu, il hésite…

L’arrivée tonitruante de deux militaires l’empêche de faire demi-tour.

 Il se ressaisit et grimpe les deux étages entrainant derrière lui une partie de Tsahal*.

 

Son premier Grand Pardon, depuis sa visite éclair à Nevers en 1942.

 

Il frissonne, sa peau se glace à l’évocation de cette ville…maudite, siège de la Kommandantur 568.

Happé par ses hôtes, les éclats de rire des enfants, et la chaleur humaine d’emblée perceptible, son sang retrouve petit à petit le chemin de ses veines.

Il salue ses connaissances. Son associé Yoèl, un sabra* fondateur de la société

de promotion dans laquelle il a pris des participations, lui présente de nouvelles

têtes.

Frank et Shoshana, rose en hébreu, aurait-elle des épines ? pense-t-il en

admirant la superbe  plastique de la belle sabra aux lointains ancêtres tartares.

 

Simon et Primor à la si délicate carnation, une harpiste officiant dans l’orchestre national.

 

Shulamitt, un bon parti lui glisse Yoèl avec malice.

 

Et d’autres encore. Il écoute d’une oreille distraite, perdu une fois de plus dans

 le néant de sa jeune vie.

Arrivé devant les militaires qui, inconsciemment lui ont forcé la main, Yoèl lui dit en hébreu :

-        Je te présente David, un Français, il a vécu des moments douloureux,

   comme toi.

-        Bonjour dit Roger en regardant ce soldat âgé de vingt cinq ans, ou un

    peu plus peut être. Ses yeux accrochent des yeux bleus rieurs, à nul autre 

    pareil. Il pâlit, est-ce possible.

La stupeur le gagne, il demande :

-        David où habitais-tu en France ?

-        A Paris

D’un ton impératif, agacé même

-         l’arrondissement?

-        10ème

-        Ton Père  était-il tailleur?

-        Oui, répond David de plus en plus interdit par l’attitude Inquisitrice

de son interlocuteur.

D’une voix atone

-         125 avenue Parmentier?

-        Oui, comment sais-tu tous cela ?

Roger le dévisage sans rien dire. Parler lui est difficile.

Sa gorge devient sèche. Il déglutit difficilement. Il manque d’air.

-        David, articule-t-il, je sais, j’ai changé, je n’ai pas beaucoup grandit.

    D’où je  viens,  on  n’arrosait pas les jeunes pousses. J’ai vieilli avant l’âge,

    j’ai essaimé au vent glacé des plaines polonaises un peu de ma tignasse

     indisciplinée à laquelle tu t’accrochais, gamin, pendant nos vacances aux Sables.

    Tu ne voulais pas me quitter.

David le regarde, le scrute plutôt, on sent qu’il fait des efforts pour sortir du

 fond de sa mémoire son ami d’enfance, son presque frère.

Il compte. Il a vingt six ans, donc cet homme devant lui en à trente.

Est-ce possible ?

 

Il ose toucher l’avant bras gauche, furtivement, du bout des doigts, comme pour

 effacer les six chiffres grossièrement tatoués, et soudain prestement,

il passe la main dans le reste de ses cheveux bouclés. Ce geste retrouvé de leur complicité d’antan, les fait tomber dans les bras l’un de l’autre.

David pleure doucement.

Roger dont la glotte joue les ascenseurs descenseurs en folie dans son cou un

 peu moins décharné maintenant, se raidit.

Une émotion intense les paralyse, et envahit peu à peu l’assistance.

Depuis la fin de la guerre ces retrouvailles sont fréquentes en Israël.

Qui n’a pas perdu un parent, un ami, une relation dans ce chaos dantesque de

cette guerre monstrueuse.

Petit à petit les « revenus » parlent, un peu, très peu. Alors se dessine les

 contours de ce que l’on appelle la Shoah.

Assis côte à côte, dans une pièce mise à leur disposition par le maître des

lieux, celui-ci estimant qu’ils avaient des choses à ce dire, plus importantes

 que la fête à laquelle ils étaient conviés. Ils  se regardent, se dévisagent,

essayant l’un comme l’autre de retrouver dans l’homme présent le garçonnet

d’avant.

 

 Avant…

 

Les Sables d’Olonne

 

De 1932 à 1940 les deux familles y loueront ensemble une grande maison.

En grandissant, les deux garçonnets ramassent  des coquillages, apprennent le nom des crustacés, partent avec leurs pères assister à la rentrée des  pécheurs dans le petit port, puis à la vente si particulière du poisson : la criée. Les signes cabalistiques des vendeurs et des acquéreurs ont le don de les amuser follement. Sur le chemin du retour, ils singent le gestuel énigmatique de ces hommes de la mer.

Et le rituel du soir : la dégustation d’une Sardinette !

Mais ce qu’ils préfèrent le plus, c’est la ferme, où le vendredi, ils vont tous ensemble chercher le poulet, les œufs, le beurre où… le boudin…la kasherout*  restée à

Paris, leur permet de découvrir les spécialités de la cuisine française !

Les femmes font claquer leurs sabots de Sablaise sur le chemin du retour.

 

Maintenant…

Ils n’osent se parler, l’émoi toujours. Imperceptiblement les mains de Roger

tremblent.

David ferme ses yeux, afin de retrouver une image peut être.

Enfin, brisant ce silence lourd de sentiments partagés, Roger, certainement

l’âge, et surtout l’habitude acquise durement de se dominer en toutes circonstances, rompt cette atmosphère chargée de questions non posées.

-        Que fais-tu ici ?

Il n’ose demander plus, appréhendant d’entendre, redoutant de le blesser, de

 réveiller un passé qu’il a peut être, comme lui, ensevelit au plus profond

de son être.

Mais, bizarrement, comme libéré, David parle. Un flot de mot mit bout à bout

pour meubler le vide que l’on devine dans son regard si bleu.

De sa vie qu’il raconte dans un désordre certain, un trou de quinze années semble

ne pas le gêner.

Qu’a-t-il vécu ?

Ses avants bras, bronzés, musclés, dégagés par les manches courtes de la

chemisette réglementaire de l’uniforme ne laisse pas apercevoir un tatouage,

un numéro, un indice suggérant que lui aussi revient de là-bas.

 

Puis soudain, comme s’il ne pouvait aller plus loin, la source se tarit et il demande :

-        Et toi ?

 

-        Moi…un instant s’il te plait quémandent les yeux

Avec mes parents, nous devions passer la ligne de démarcation

Nous avons pris le train  direction la gare de Nevers, lieu de rencontre

 avec le passeur.

Tout est arrangé, payé pour partie à Paris et le reste sur place avant de

franchir la ligne magique.

Ils seront une douzaine, peut être plus, de tous âges à se regrouper autour de

 l’homme qui régulièrement prend des risques afin de permettre à tous

ces Juifs en sursis de franchir le Rubicon.  Cet homme, qui après avoir reçu sa

 dîme, les conduira vers la liberté, comment ?

Mystère.

Les voilà  à Saint Pierre du Moutier.

-        Le passeur nous a demandé de déposer nos ballots dans un camion, afin

    qu’il puisse nous les apporter en zone libre. Nous devions nous déplacer

      accroupis,  ne pas faire de bruit.

Plus que cinquante mètres, environ…

Cette vieille bâtisse se rapproche, bientôt nous allons pouvoir y

 pénétrer, et laisser à la porte notre peur de bête traquée.

Nous entrons.  Nos yeux doivent  s’habituer à l’obscurité.

 

Ils ne  nous en  laisseront pas le temps. Une lumière nous aveugle.

Nous sommes cernés par quelques hommes.

Des Allemands.

 J’entends le bruit si particulier de la culasse que l’on arme.

Instinctivement, je cherche la main de mon père, persuadé qu’ils vont nous

 tuer sur place, dans ce piège pour Juifs en cavale.

Imagine l’angoisse  et le désespoir pour tous ceux  qui comme nous se sont

laissés bernés par ce passeur véreux.

Si près du but.

 

Après, ce fut l’incarcération dans une prison de Nevers avec

 la police française pour maton.

 

Pour la première fois de ma jeune vie je suis séparé de ma mère.

 

Avec mon père nous sommes transférés à Pithiviers. Ce camp d’internement provisoire est géré par la police française.

Le soleil d’août brille et je n’ai pas l’impression de souffrir,  si ce n’est

 l’absence de ma mère et l’inconnu de notre devenir.

Pour meubler le temps je parle avec mon père de notre vie…avant…

de l’atelier, des clients, de toi, de ton père.

Puis s’instaure entre nous une tendre complicité, un lien plutôt privilégié

 avec ma mère jusqu’à  lors. Je ne me souviens plus de nos paroles, mais

parfois des bribes ressurgissent, que je m’empresse de chasser.

 

Nous avons forcement évoqué le futur, notre avenir plus qu’incertain

obligeant mon père à me donner des conseils, faire des recommandations, mais j’avoue avoir tout oublié.  

 

-        21 septembre, fermeture, du moins pour nous du « camp de vacances »

Mais de ma mère pas de nouvelle.

 

On nous fait monter dans un wagon du convoi n°35. Dans quelle gare,

une sans nom  surement!

J’ai le temps de lire 40 hommes ou 8 chevaux en longueur.

 

Pourtant nous sommes encaqués comme des harengs. Debout, serrés les uns

 contre les autres, les Allemands ont le don de trouver encore un peu de

 place pour un ultime retardataire désireux de profiter du voyage!

 

Les hommes et les femmes sont mélangées, et miracle dans ce chaos

indescriptible nous retrouvons ma mère. Ne me demande pas combien de

 temps dura ce voyage, je suis bien incapable de m’en souvenir.

 

Mais ces moments serrés entre mon père et ma mère, ce contact rapproché obligatoire, sentir de si près leur peau, ce sentiment d’être plus fort

 parce que réunis, fut pour moi inestimable. Je pense que si j’ai survécu,

c’est en grande partie grâce à toute cette force qu’ils ont essayés de me transmettre, de m’inoculer. J’avais faim, soif, les besoins naturels plus que difficiles à soulager, mais j’étais avec eux, je somnolais

dans leurs bras réunis, j’étais… pour combien de temps encore, leur fils

adoré.

L’arrivée, enfin, au bout de combien de jour ?

La gare de Kosel, hagards, effrayés, on ne nous laisse pas le temps de

 nous dégourdir les jambes. Nous sommes extirpés à coup de trique,

les vivants, les moribonds et les morts sortent de concert, accueillis

par la mélodieuse musique de la langue allemande, aboyé par des êtres

 n’ayant plus rien d’humain.

Le bruit assourdissant, les coups de feu, les cris, les aboiements des molosses,

 les hurlements déchirants des « séparés », et le sifflement des trains

apportant leur cargaison de « sous hommes », sont mes seuls souvenirs de cette arrivée en terre allemande.

Longtemps, nous avons attendus, debout, épuisé, l’arbitraire jugement

 d’un SS éructant : à droite, à gauche.

Sans même avoir le temps de me serrer dans leurs bras, mes parents sont

 poussés dans la cohue de ceux qui reprennent le train pour Auschwitz

me diront certains, mieux renseignés que moi.

 

Je suis seul, hébété, j’ai quinze ans, et je vais devoir apprendre à

 vivre sans eux.

 J’ai peur.

 

Roger s’arrête, pour chasser les images qui se bousculent et qu’il ne veut

plus voir…jamais.

-        Après dit David d’une voix blanche

-        Après, quelle importance. Et puis je ne sais comment trouver les phrases

     justes pour le dire ?

J’étais dans un autre univers. L’enfer peut être !

 

-        J’ai beaucoup voyagé, marché, de camp de travail en usine, de chantier

    en mine. J’ai creusé des galeries, transporté des rails, soulevé des pierres,

    fait du béton, appris à me débrouiller. J’ai supporté le froid, la neige, la faim, les coups…

     mais je suis là !

-        Pour ne pas me perdre, après  deux ans *de bons et loyaux services, des 

     artistes de talent ont tatoué sur mon avant bras gauche ce numéro que

     tu peux admirer : 177403. La calligraphie n’est pas parfaite,

     le bonhomme ayant un peu abusé du schnaps !

 

J’ai circulé, pas toujours dans des conditions confortables,  mais ils m’ont

fait connaître l’Allemagne profonde, la Pologne et ses mornes plaines

enneigées !

De 1942 à 1945, j’ai visité neuf camps,  je suis allé à, Eichtal en Allemagne,

 puis à Blechammer en Haute Silésie, chez les Polaks si tu préfères, après une marche dans la neige et le vent pendant quinze jours j’ai découvert

Gross Rosen, Auschwitz, de nouveau l’Allemagne où j’ai visité Buchenwald,

 Dora et Bergen Belsen.

 

Libéré par les Britanniques qui nous sauvèrent deux fois, la première en nous retirant du souffle de l’hydre de Lerne, et la deuxième en nous empêchant

d’avaler le frichti concocté par nos hôtes sadiques jusqu’au bout.

Mais peut être était-ce des rumeurs ?

Je te dis tous cela en vrac car ma mémoire parfois ne veut pas se rappeler!

 

-        Mais ta vie là-bas demande timidement David ?

-        Là-bas ?

 

 Une vie d’anesthésié.je n’étais plus un adolescent, je n’étais pas un homme,  je n’étais qu’une volonté désirant vivre encore une seconde,

une minute, une heure, un mois de plus, après… c’est après.

 

-        Les miracles, les sibylles, les magiciennes, les fées, les sorcières,

 les bons génies,  durent se liguer pour me sortir de cet endroit

diabolique!

 

Roger n’en dira pas plus. A quoi bon étaler ce passé, les mots sont impuissants

devant l’ampleur de la géhenne.

Qui le croirait?

-        Je suis libre, mais faible, si faible.

 Trente huit kilos sur la balance du pesage !

Je ne sais plus respirer librement, une chape de plomb m’en empêche. La liberté retrouvée ne me rend pas heureux. Que vais-je en faire ?

 

Je ne suis pas certain de vouloir remercier Dieu de m’avoir permis de revenir.

La - bas je voulais vivre.

 

 La force, la hargne, l’envie de leurs résister, alors qu’ils sont anéantis, ne m’habitent  plus. J’avais envie de leurs montrer de quoi était capable un Youpin, mais maintenant, je me demande si cela était utile. Ils m’ont tout volé.

 N’ont-ils pas gagné ?

 

Je suis rapatrié vers Bruxelles. Un accueil chaleureux nous est réservé.

Les Belges nous apportent spontanément de la nourriture, des vêtements, malheureusement importables pour nous, si maigre,  mais surtout une commisération, un soutien moral qui fait chaud au cœur.

Je marche  avec lenteur, et je lis dans le regard des autres de  l’incrédulité lorsque je dis avoir dix huit ans !

Après un bref séjour  à l’hôpital, quelques jours je pense, je prends le

train pour Lille avec un certains nombres de « fantômes  zébrés ».

Avec indifférence nous sommes entassés, dans les dortoirs d’un

centre d’accueil, mais n’avons-nous pas l’habitude !

 

 Après c’est Paris, le Lutétia, et ses couloirs pompeux, où la dorure à

 l’or fin des boiseries tranchait singulièrement avec nos costume à rayures crasseux, bien souvent en lambeaux,  multipliés à l’infini par les miroirs

 biseautés. Drôle de défilé de mode !

Des vêtements, presqu’à ma taille, un peu d’argent, et me voici jeune homme en liberté dans une ville qui  me semble inconnue.

 

Je suis parti adolescent, je rentre adulte, avec le vécu d’un bagnard aguerri aux vicissitudes de  la schlague.

 

Mes parents, ma sœur et sa famille, mon oncle, mes tantes, mes cousins

 tes parents et toi, où êtes-vous ?

Suis-je seul?

Pourquoi moi ?

 

Je mettrais des mois à comprendre.

L’appartement de mes parents avait été réquisitionné par les Allemands.

Les nouveaux occupants me claquèrent la porte au nez, me criant leur

bon droit de Français bien nourris.

Il fallut beaucoup de temps à la gardienne pour reconnaître le petit

qu’elle avait vu naître, mais consciente de ma faiblesse et de mon désarroi

 elle me remit les clés de la chambre de bonne appartenant à mes parents,

qu’elle avait réussi à soustraire à la convoitise de l’ennemi. Je suis enfin

 dans un « chez moi ».

Je ne sais comment j’ai trouvé un avocat, afin de faire valoir mes droits

  pour recouvrer la propriété de l’appartement.

 

La nuit, je ne savais plus dormir.

 

L’habitude des réveils brutaux qui à la longue vous force à somnoler,

ce dormir d’un œil dont nous étions si friands, lorsque l’on nous demandait

de nous coucher pendant les vacances Aux Sables, était devenu une

obligation, si tu ne voulais pas prendre de coup, parce que trop long à te réveiller,  ou te faire voler tes maigres affaires.

 

Les couvertures me paraissent si lourdes, j’avais peur qu’elles ne m’étouffent.

Je retrouvais l’appartement de mes chers parents, mais naturellement vidé

de ses meubles, et des ses machines, vendus par le Haut Commissaire à

la question juive.

Je m’installais avec mes moyens sommaires dans cet appartement devenu gigantesque, tout à coup.

Et j’attendais…leur retour.

Pour conjurer le sort  je continuais, en pensée d’obéir à mon père, espérant naïvement, qu’il reviendrait un jour ou l’autre afin de me féliciter.

Cela à durer longtemps…je crois. Qu’allais-je faire de ma vie…sans eux ?

J’étais libre, mais que faire de cette liberté ?

Comme un maraudeur, je rodais autour de la synagogue de la rue Notre Dame de Nazareth. J’y avais fait ma Bar Mitzva., mais je ne me rappelais plus les prières ! J’étais un revenant sur terre et je n’y trouvais plus ma place. Contrairement à toi David, je n’avais plus personne chez qui me réfugier. Inconsciemment, même si je refusais de me l’avouer, je savais

que plus un déporté ne hantait l’hôtel Lutétia, et que ma famille ne ferait plus partie du paysage de ma vie.

Vivre, j’avais voulu vivre, mais le retour à la vie quotidienne me détruisait inexorablement. Etais-je encore Juif alors que je ne savais plus prier ?

 

J’avais l’impression de gêner tout le monde : les Juifs, parce que revenus,

alors que tant d’autre étaient restés, qu’avais-je fait pour cela ?

Je ressentais alors, une culpabilité profonde parce qu’épargné.

Je dérangeais aussi les Français, passés maître dans l’art de la girouette,

  tous résistants en cette fin de guerre, refusant d’entendre parler de collaboration de la police, de délation, de dénonciation, de soumission à

l’ennemie, à Pétain et sa bande depuis longtemps satellite de l’envahisseur.

 

   Je ressentais une incompréhension. J’avais la sensation que l’on refusait

de m’entendre.

Petit à petit, je retrouve un semblant de volonté, et surtout,  des amis

de mes parents qui décident de me prendre sous leur aile et me prêtent de l’argent, afin que je m’installe.

Pour faire quoi ?

Je voulais être avocat, mais les Allemands ne m’avaient pas permis d’accomplir

 ce rêve.

Je me décidais pour la confection…un bon métier pour un Juif* !

Inconsciemment je mettais mes pas dans ceux de mon Père.

J’achetais des machines à coudre, à repasser, enfin  l’attirail du parfait

Shmatologue*, et je commençais par me procurer des modèles que je

démontais afin de les reproduire dans d’autres matières, avec une petite poche

 en plus, un col un peu plus long. Je traficotais le modèle à ma guise,  puis allais prospecter.

Et pour la première fois de ma vie déjà si bien remplis, je commençais à

gagner de l’argent. Seul,  dans mon grand mausolée petit à petit déserté

par l’âme de ma famille, je n’avais pas le courage de préparer les repas,

alors j’allais chez « Max » rue Notre Dame de Nazareth, la table y était bonne, et la fille des taverniers accorte et attirante, avait de tendres regards à mon encontre.

Malgré mon vécu, je ne connaissais rien de la vie, j’avais tout à découvrir :

l’amour, la sexualité, la tendresse, les caresses d’une femme autres que

 celles de ma mère, les baisers.

J’étais puceau, et la charmeuse Louise s’empressa de me voler ma vertu !

Elle m’apprit les jeux de l’amour. Je me laissais faire, heureux d’avoir

 enfin trouvé quelqu’un pour s’occuper de moi.

J’étais bien incapable de dire si le sentiment que j’éprouvais était de l’Amour, mais je m’en accommodais.

Je voulais être amoureux, amoureux de tout, de l’une de l’autre,

qu’importe, je désirais surtout aimer le futur de ma vie où le passé n’avait

pas de place, et  rattraper ma jeunesse enfuit.

Cette jeunesse dont je n’avais pas profité.

Malheureusement, comme dans les romans de gare, je fus foudroyé

par une méningite cérébro-spinale, avec forte fièvre et paralysie de la nuque.

D’urgence je fus admis à l’hôpital Claude Bernard, où le professeur Morin

ne donna pas chère de ma vie.

Profitant de ma semi- inconscience, les parents de « ma Louise » se

pressèrent de m’extorquer une date de noce et surtout me firent signer des papiers pour le contrat de mariage, me dirent-ils

C’est ainsi mon Cher David, que je me fis spolier pour la deuxième

 fois de l’appartement de l’avenue Parmentier…par des Juifs!

Mais la pénicilline encore à ses balbutiements, fit effet sur moi, et deux

 mois plus tard je convolais avec la belle Louise.

Notre voyage de noce, et ma convalescence se passèrent dans mon

appartement qui n’était plus le mien !

Devant ce nouveau cout du sort je quittais cette Messaline et ayant

 réglé mes affaires, je décidais de partir pour Israël.

Je crois t’avoir dit l’essentiel.

Je ne pense pas que je ferai ma vie ici. Il fait trop chaud et puis je trouve

ce pays trop bruyants, j’ai besoin de calme, de silence. Mais grâce à mon association avec Yoèl, je gagne de l’argent.

Dans un an peut être, je rentrerai en France. Je veux reprendre mes études.

 

 

 

extrait du 3ème livre de Julia: Nuit de Noce, récits partagés copyright

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  • : ce blog: pour tous ceux ,qui comme Julia, marranne du Portugal, sont à la recherche de leur identité juive. Architecte d'intérieur et gourmande elle vous transmet des conseils en déco, et de délicieuses recettes .
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  • issue d'une famille de marranes,je suis très attachée à mon identité juive,et à toutes ces traditions qui ont bercées ma jeunesse. 
 je suis passionnée pour mon métier d'architecte d'intérieur et par  l'écriture  qui me permet le rêve.
  • issue d'une famille de marranes,je suis très attachée à mon identité juive,et à toutes ces traditions qui ont bercées ma jeunesse. je suis passionnée pour mon métier d'architecte d'intérieur et par l'écriture qui me permet le rêve.

l'auteur

Chantal FIGUEIRA LEVY, écrit depuis quelques années des romans autour de personnes réunies par la même recherche d'identité.

Son personnage principal est Julia FRANCES.

Dans la vie professionnelle, Chantal FIGUEIRA LEVY est architecte d'intérieur, et de ce fait , son héroine évolue dans ce milieu.

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