90 ans , déjà...
Que tu as pointé le bout de ton nez, dans la riante petite ville de Tomar la fleurit, faisant certainement le bonheur de tes parents et de tes grands parents.
En ce jour de Mai, notre mois à tous les deux, tu t'ouvrais à la vie...
Avec ta Mère, tu appris la nature, les fleurs, les odeurs...à gambader dans les herbes folles, à courir après les lézards verts...
Ton Père vivait en France, pour des raisons ignorées de toi...
Tu ne le retrouveras qu'à l'âge de huit ans...un inconnu pour toi.
Te manquait-il?
Vous étiez si différents...J'avoue n'avoir jamais osé te poser cette question...comme beaucoup d'autres d'ailleurs.
Il y avait tant de retenu, de contrôle de soi, de nons-dit, de savoir ne pas pleurer...
Que nous sommes passés l'un à côté de l'autre sans pouvoir nous découvrir...
Tel le Lipizan marchant à pas comptés, tu traverseras ma vie...sans me permettre de t'approcher.Tu semblais perdu dans des rêveries où je n'avais pas de place.
Pourtant, gamine , j'ai essayer de t'imiter: le dessin, la danse, la natation, le football, le saxo, la bagarre!
J'étais le fils que tu n'avais pas...encore.
Tes yeux bleus que d'aucuns disaient glacials me réchauffaient lorsque tu me regardais.
Comme je guettais... ces échanges muets.
Ton petit sourire frisant une ironie en demi teinte, ta façon de pincer tes narines, ton élégance innée, ta tête inclinée vers la gauche, comme tes convictions d'ailleurs, à l'écoute de l'autre, ton balancement des bras, ta démarche assurée de plantigrade
faisant corps avec Dame Terre, ton blazer bleu marine, ta chemise rose pâle, défilent en boucle devant mes yeux.
Tu me manques...certains soirs, j'ai envie de te parler.
Pourquoi ne pas l'avoir fait, ou si peu, des bribes, des riens, des phrases avortées, les mots tournés dans ma bouche et qui jamais ne sortent...
Les regrets s'accumulent.
Il y a 25 ans que tu m'as quitté, chaque jour, je te regarde, me demandant ce que tu penserais de notre siècle.
Tant de choses ont évolué depuis ton départ:
- le téléphone portable
-l'ordinateur familial
-les trains à grande vitesse
-les télévisions filiformes etc...
Mais surtout un non conformisme, qui je le sais te mettrait dans une noire colère.
L' éducation, la politesse, la connaissance du français si importante pour toi l'émigré, le respect de l'Homme et de la France ont toujours représentés les valeurs auxquelles tu étais attaché.
Aujourd'hui, en ce mois de mai plus qu'épanouit, tu es là, nous attendons mon fils ton sosie, et mes petits enfants que tu ne connais pas, venus fêter mes années qui s'envolent.
Je crois qu'ils te plairaient, surtout la chipie, ses cheveux roux bouclés,toujours en bataille et son franc parler de petite bonne femme affranchit. Elle n'hésiterait pas à te dire que tu l'agaces.
L'ainé curieux de tout, mais mauvais joueur...comme toi.
Et le puiné, tout brun, un poème à lui tout seul, tendre, et aussi rêveur que toi...
Je vais allumer une bougie du souvenir, comme le faisait certainement ta grand mère.
La-bas au Portugal, du temps où nous étions Marranes.
Nous allons faire la fête, et je dirais à mon fils, et à mes petits que je les aime...
ces mots que jamais je n'ai pu te dire.
Papa...Pourquoi t'es-tu enfuis si tôt?
Papa...
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