Pierre Daninos écrivait:
" A part l'amour de la cuisine, rien ne se fait comme il y a cinquante ans."
Comme cela est vrai. En un demi siècle que de changement, de nouvelles technologies
qui nous rendent parfois la vie plus facile, mais souvent nous obligent à aller toujours plus vite, toujours plus avant...
Qui se souvient des salons de coiffure, que l'on disaient moderne dans les années 50-60?
Allez, faisons un petit tour dans le passé, au demeurant pas si lointain.
Un brin de nostalgie pour les plus anciens, une" leçon de choses" comme nous disions à l'école, pour les plus jeunes...
Laissons la parole à la petite voix de Julia...
Monsieur Antoine est coiffeur…
Son salon se trouve au rez de chaussée
Tu as le droit d’y accompagner ta Mère, le jour de son indéfrisable!
Tu es sage, tu te fais toute petite, car c’est un privilège !
Tu t’assieds sur un petit banc, les yeux à hauteur de la pédale actionnant l’élévation du fauteuil, nécessaire pour certaines opérations.
De ta place, tu observes Madame Antoine, manucure en action :
le ballet des limes en métal crissant sur les ongles, la pince pour enlever les petites peaux, le chuchotement du polissoire, qu’elle passe et repasse, avec douceur…
Tu sens l’odeur un peu entêtante du vernis, d’un rouge profond, qui petit à petit, habille le bout des doigts de sa cliente ; Madame Antoine s’applique, elle sort le bout de sa langue, ne doit-elle pas dessiner la lunule !
Tu aimerais que ta Mère se fasse peindre les ongles !
Ridicule, te répond- elle, c’est pour les cocottes !
Les cocottes ???…encore un mot qui restera sans explications !
C’est ainsi avec ta Mère…
Ce salon est équipé d’appareils bizarres, tu n’es pas rassurée !
D’abord, ce séchoir sur pied, ce dragon au long cou, en armure, avec ces étincelles crépitantes sortant de son ventre rond. Monsieur Antoine l’agite, en frictionnant de sa main bagousée, la chevelure de sa cliente.
Mais surtout, rappelle-toi… la trayeuse suspendue au plafond… justement pour l’indéfrisable à chaud.
Monsieur Antoine prend une mèche, l’entortille autour d’une sorte de rouleaux métallique, puis, après avoir placé une rondelle en caoutchouc, afin de protéger le crane de la chaleur, introduit ces bigoudis dans les
cylindres en bakélite noire de la dite trayeuse.
Appuyant sur la manette, il fait monter le fauteuil, afin que Madame Mère
fasse corps avec l’appareil.
Toujours le même cérémonial !
Avoue…N’as-tu jamais envisagé d’actionner …oh ! Par inadvertance… le levier pour faire descendre d’un seul coup le fauteuil, laissant ainsi Madame Mère suspendu par les cheveux…
- … ?... idiote
L’indéfrisable porte bien son nom, Madame Mère reste frisée comme un mouton pendant six mois !
Lorsqu’elle passe à la caisse, furtivement, tu jettes un coup œil du côté du salon des Messieurs.
Tu aimes la mélodie métallique, robotisée, du clic- clic des ciseaux maniés avec dextérité par Monsieur Marcel, sa chevelure poivre et sel brillantée à souhait.
Tu le vois dans sa blouse blanche, un peu petite pour son ventre épais, tourner autour du fauteuil, s’activer avec sa brosse pour enlever les reliefs des cheveux coupés, et prendre avec affèterie le vaporisateur à poire, et inonder de « sent bon » son client, le cou rosi à l’endroit de la coupe !
Le claquement sec du peignoir que l’on secoue, indique…
Au suivant…
Comme les chevaux, tu retrousses tes narines, afin d’emporter avec toi toutes
ces effluves : subtil mélange d’œillet, de chypre et de shampooing sublimé par la vapeur des serviettes chaudes, entreposées dans la grosse boulle en métal.
Extrait de Gazoute ou l'étoile en balsa