Mon Grand Père me dit, qu'il est de son devoir de me raconter notre histoire.
Il me demande d'emprunter la voiture de mon Père, afin de me présenter Tomar, berceau de notre famille!
Le soir, seule dans mon lit, au matelas en fanes de maïs, je pense à tous les plus tard ma fille de ma Grand-mère.
Mon père est né à Tomar. Qu’y a-t-il de si mystérieux, la- bas ?
- Très tôt, le lendemain, nous partons.
- Nous empruntons une petite route de campagne, où la brume mystérieuse joue à cache-cache entre les chênes liège. J’aime conduire lorsque le jour se lève, l’air est doux, pas encore trop chaud, et puis ces odeurs… Certains arbres portent la cicatrice de leur offrande à l’homme. Comme des soldats à la parade, ils balisent cette route sinueuse et vallonnée afin de m’indiquer le chemin menant vers l’inconnu!
- Je suis surprise toutefois par le mutisme de Mon Grand Père, lui toujours si jovial, taquin…Un rire quasi permanent accroché à la face. Je le regarde à la dérobée. Un masque à figé son visage. Je le sens tendu.
Je remarque sa peau parcheminée…griffée par les années.
J’ai l’impression de voyager avec la momie de Toutankhamon !
Pour la première fois il m’intimide, et je n’ose perturber ce religieux silence.
Enfin…nous arrivons…
… Tomar… Cette petite ville située sur les bords du Rio Nabao,
est charmante, verdoyante, sous le chaud soleil et tellement fleurit.
Une odeur d’eucalyptus chatouille mes narines, je ne peux m’empêcher d’admirer ce gris si particulier, satiné, lustré, lorsque le tronc de cet arbre élégant, s’exfolie.
- J’aimerais pouvoir reproduire cette couleur indéfinissable sur les murs de quelques boudoirs…l’union du blanc et de la terre d’ombre, émoustillé par une pointe de jaune ou une subtile goutte d’incarnat… selon la lumière. La main la plus talentueuse ne pourra jamais égaler Dame Nature…La beauté à l’état originel !
- Je suis émue en pensant qu’il y a bien longtemps, Mamé a donné la vie à mon Père, ici, dans cette même ville… ou chaque monument, chaque sculpture rappelle l’épopée maritime du 16ème siècle. Une ville riche de son passé…
- Nous dépassons le château Fort construit par l’ordre des Templiers. Je ferais bien un peu de tourisme, mais mon Grand Père me rappelle que
nous sommes attendus!
Ah ???
Devant son air décidé et inquiet à la fois, je n’ose insister et me laisse guider. Pourquoi cette anxiété depuis notre départ ?
- Il m'entraine dans des ruelles pittoresques, très étroites, nous marchons vite, très vite, comme si nous devions nous dissimuler. Les pavés aux teintes délicates et variées, usés par les ans… sont glissants. Avec mes éternels talons hauts, le parcours est périlleux. Mon Grand Père, comme enfermé dans une bulle, n’en a cure, j’ai le sentiment qu’une profonde émotion, l’habite…et une appréhension… peut être.
- Nous arrivons dans le centre historique.
- Le vieux Tomar.
- Comme soulagé d’être enfin parvenu au but, il me conduit vers une bâtisse, pas très grande…rua Joaquim Jacinto 73, indique la plaque.
- A l’extérieure, cette maison ne semble pas très différente de ses voisines.
Toutefois en regardant de plus près, une petite étoile à six branches, gravée dans la pierre, sur le linteau de la porte située à l’est, attire mon regard. La direction de Jérusalem me dira notre guide !
- Encore… l’étoile à six branches de mon enfance !
- Serait-ce un musé ?
- Effectivement, mon Grand Père m’apprend que nous sommes dans une très ancienne synagogue, construite au 15ème siècle, par la riche communauté juive de la ville, transformée en musé en 1939 … à la demande de Salazar !
- Nous sommes dans la Judearia : ce quartier juif, si prospère au 14et 15ème siècle. Furtivement, j’imagine la vie à cette époque, les odeurs dominées par la cannelle, la ronde des longues jupes balayant et lustrant les pavés, la musique des voix…quand…
- …Une dame sans âge, parlant le français, avec l’accent de Mamé, nous ouvre la porte…nous attendait-elle ?
- Peut être… toute ma vie, lorsque j’en aurai besoin, je rencontrerai des personnages surgissant de nulle part…comme répondant à mon appel.
- Rappelle-toi à Lisboa, les deux sœurs devant la synagogue… Et le Rabin…
- Mais j’anticipe…
- Nous pénétrons, dans une salle carrée, au plafond « en voûte d’arrêtes » supporté par quatre piliers de style gothique, aux chapiteaux tous différents, bizarre…
Je me sens envahie d’une timidité, et, d’une humilité frisant la soumission
Afin d’oublier ce ressenti, je compte les arches : douze…
…. Serais-ce pour rappeler les tribus d’Israël !
- Notre guide nous délivre, d’une voix chuintante, un peu monocorde, ce qui semble être un secret : chaque pilier porte le nom des quatre mères d’Israël : Sarah, Rebecca, Rachel et Léa. Pourquoi ce filet de voix si ténu, ne sommes nous pas seuls dans cette pièce ?
- Je comprends mieux la variété d’ornementation des chapiteaux.
Pour qui : le dorique si austère ?
Pour Rachel … non, plutôt pour Léa, sa sœur au regard si terne?
Et, les gothiques aux corbeilles, qui en feuilles d’acanthe, qui feuillagées, ou palmées :
Pour Sarah la Princesse ?
Pour Rébecca ?
Pourquoi pas pour Rachel la stérile, qui rencontrant Jacob en allant puiser de l’eau sentit son cœur battre la chamade!
Mais son Père mit bonne ordre à ce marivaudage !
Depuis quand… Une cadette, se marie avant l’ainée…Alors place à Léa aux yeux fatigués!!
Arrête de faire ta savante, je sais que tu connais la bible, depuis le temps que tu y plonges ta frimousse ravageuse !
- Notre guide ne pourra répondre à ma question un peu trop alambiquée…
- Au centre de la pièce, au demeurant pas très grande ; sous ce dais architectural, trône un pupitre, en tout point identique à ceux que l’on trouve dans les synagogues, pour la lecture des rouleaux de la Thora. Seulement, sur celui-ci, point de Thora, mais des objets de culte, qui ne semblent pas inconnus pour mon Grand Père.
- Il me parle, lui l’ancien communiste, de cette communauté juive, qui, depuis la création du royaume du Portugal en l’an 1143, officialisé par le traité de Zamora, représentait environ 4% de la population portugaise, évoluant d’une manière chaotique, selon la volonté des rois en place.
Ainsi, les migrations étaient coutumières pour les Juifs de l’époque, afin d’échapper aux représailles aussi diverses que variées ( pendaison, bûcher, autodafés, etc...)
Nous déambulons, dans les allées ceinturant le dais.
- …Un mariage…ici…
Mon esprit s’évade…
- Dans cette salle émouvante, où le passé suinte à fleur de pierre, je me sens apaisée !
- Les murs sont recouverts de parchemins, de bas reliefs….les preuves que cette communauté existait depuis au moins le 14ème siècle.
- Dans une armoire en bois, mon grand Père me montre les rouleaux de la Thora.
- Je le regarde, sidérée…lui, l’athée ; pourquoi connait-il ces objets religieux ?
- Ignorant mon regard interrogateur, il m'entraine vers des inscriptions gravées sur des fragments de pierres tombales, datées de 1307. Notre guide nous explique qu’ils viennent de la Grande synagogue de Lisboa, et nous montre le nom divin symbolisé par trois points. Cette façon de représenter celui que l’on ne peut nommer, n’est-elle pas identique, dans les Manuscrits de La Mer Morte ?
- A ma grande surprise mon Grand Père me donne la réponse !
- Il me parle de l’élimination de cette religion par l’obligation du baptême de tous les juifs à partir de 1495: la conversion ou l’exil !
- Puis du tribunal de l’Inquisition, traquant sans relâche, tous ces … marranos… ces porcs…ces conversos…
- Et, encore des autodafés, rendant les recherches très difficiles, dans les bibliothèques.
- Il me raconte le courage de ces juifs convertis, ces crypto-juifs, ces juifs clandestins qui au fil des siècles, ont bravé les dictats en pratiquant leur religion en cachette, malgré les risques très importants de délation.
- L’émotion me gagne, ma gorge se serre. Mais en même temps, j’ai l’impression de savoir ce que je vais entendre.
- Dans cette vieille bâtisse si empreinte de mysticisme, et de solennité, je me sens chez moi, et, j’y suis bien.
- Soudain je réalise que la fiction peut parfois rejoindre la réalité.
- Tu te souviens, cette histoire inventée de toute pièce dans ma jeunesse, dans le seul but, de me créer des ancêtres, comme tout le monde, mais différents tout de même ?
- Je commence à penser qu’elle n’a pas investi mon cerveau innocemment !
Une façon peut être de me préparer à ce que j’allais découvrir.
-
Nous sortons, mon grand Père me conduit dans une de ces merveilleuses petites pâtisseries qui font florès dans ce pays. Nous commandons quelques pastéis de nata, ovo moles et autres petits reconstituants, qui me seront bien nécessaires. Car je ne doute pas que les révélations que je devine, risquent de bouleverser ma vie.
Extrait de Gazoute ou l'étoile en balsa- copyright