Imaginez un torrent capricieux dévalant en courant, dans un vacarme d'enfer, de la haute montagne.
Imaginez le soleil faisant une partie de cache cache avec les cailloux multicolores qui dansent un passo- doble avec les remous du rapide.
Imaginez les herbes folles jouant une partie de "tu ne m'attraperas pas" dans l'onde palpitante.
Imaginez...
MOI, au milieu de ce monde féerique et mystérieux, là, parmi ces éléments
inconnus il n'y a pas si longtemps, de la citadine que je suis.
Le décor est planté.
Moi, urbaine jusqu'au bout de l'ongle à la French permanente, dont les stillettos et la jupe entravée font mon dress code au quotidien, me voilà planter au milieu de cette onde pas toujours bienveillante et surtout glissante.
Mais je porte beau:
- les waders remontées jusque sous les aisselles,
-le gilet kaki aux multiples poches, et l'essuie mouche en peau de mouton,
- l'épuisette pliante, au manche télescopique battant mon mollet, que l'on devine sous le caoutchouc de la botte assassine pour le glamour,
- la besace en osier digne des plus grands maroquiniers, fièrement arrimée sur mon épaule gauche. pourquoi la gauche, vous le savez je ne suis jamais au raccord...rappelez-vous les cours de gym douce!
-et mon Steston marron médaillé de quelques mouches, crânement installé sur ma tête,
Vous l'avez tous compris, je suis à la pêche...
Mais pas n'importe laquelle, non.
La pêche qui ne vous salit pas les mains, la pêche qui ne requière pas de promiscuité avec les vers, asticots, et petits gros marcels bien rouges et autres larves, portes bois et appâts de tous genres...
non, la pêche à la mouche.
Vous vous rappelez le film "Et au milieu coule une rivière"
Et bien voilà, j'y suis...pas au milieu d'une rivière, mais au milieu d'un torrent.
Trop fort dirait La Grande Zaza aux cheveux de lin.
Délicatement, précautionneusement, , afin de ne pas glisser sur la pierre se cachant sous les mousses, algues et autres pièges, j'avance dans ce torrent qui malgré la chaleur ambiante commence à me glacer les pieds.
Depuis ce matin je marche, suivant comme il se doit mon cher et tendre plus attentif
au moucheronnage que moi.
La canne bien souvent posée sur l'épaule je m'émerveille des paysages traversés, oubliantbien souvent que je suis là pour prendre des truites, et non pas rêvasser et me
laisser bercer par l'eau qui cour après le courant.
De temps en temps, me rappelant mes cours à l'école de pêche à la mouche,j'ose faire un lancer, mais ou bien le poisson n'a pas la maille*, et je dois le redéposer délicatement dans l'eau en détachant tout aussi délicatement l'hameçon à l'ardillon retiré, ou bien je rêve et ne ferre pas assez vite le poisson inconscient, qui s'est approché d'un peu trop près de la belle mouche en renard blanc installée sur mon bas de ligne!
Et là je me fais réprimander par mon mentor de service.
Vous l'avez compris, je ne suis pas très douée,quoique... pas très perséverante, pas très intéressée par la prise de truite, je préfère musarder au fil de l'eau et peu importe si je rentre bredouille...Ce qui a le don d'irriter ma chère moitié, car lui, il prend du poisson...
Logiquement cette situation favorable pour lui ne devrait pas l'agacer, mais...
A l'école de la pêche à la mouche où nous avons officié ensemble pendant deux années, je laissais augurer d'un réel talent!
Je dois avouer humblement avec une hypocrisie toute féminine que dans les concours, je prenais du poisson!
N'ai-je pas glané au cours de ces années d'école, quelques coupes délicatement exposées dans ma roberie, afin de rappeler à ma tendre moitié que dans le monde de la pêche à la mouche (si macho),j'ai un tableau de pêche ... bien exposé, synonyme de prise de poissons... lorsqu'il y a un concours...sinon qu'elle est l'intérêt?
A part le manger...
Mais je n'aime pas la truite.
Par contre, avoir des trophées, être mentionnée dans le journal local, n'est ce pas la plus belle des récompenses?
Et lui tétanisé par le challenge, et énervé par les machos qui piaffaient autour de moi (genre pour voir si j'en prenais!), ne sortait pas de poisson.
Sachez gentes demoiselles en mal de mâle, que c'est dans les concours de pêche qu'il faut être...si vous voulez trouver l'âme soeur!
Alors aujourd'hui, pour me faire pardonner mes pècheresses "tartarinades" je l'accompagne dans l'onde fraiche, et lui laisse la primeur de la plus belle prise!
Evitant naturellement de tremper mon fil dans l'eau, car friponne que je suis je serais encore capable dans prendre une plus grosse!.
N'e m'a- t-on pas appris qu'il fallait laisser la prérogative aux hommes!
Je crois d'ailleurs que nous avons beaucoup à y gagner!
N'est ce pas Zaza à la crinière de lin, toi qui pêche sur le gazon!
* La maille: longueur réglementaire pour pouvoir sortir un poisson de l'eau