Extrait de Gazoute ou l'étoile en balsa
- J’adorais mon travail du samedi, j’étais chargée de m’occuper de la petite décoration.
- C'est-à-dire les tissus, les rideaux, les luminaires…
- Je pris l’habitude de porter chez mon voisin le tapissier, les commandes du samedi. Ce vieux Monsieur, au demeurant, très égrillard, toujours une histoire grivoise à porter de bouche, m’apprit les secrets de ce métier.
Mon amour du bel ouvrage, du travail abouti, c’est à lui que je le dois.
Les lambrequins, les tètes flamandes, les embrasses, les cartisanes à gland, devinrent des mots familiers à mes oreilles.
- J’appris à reconnaitre les soieries, les lampas, les taffetas... tous ces tissus employés pour la décoration de l’époque.
- Je me perdais chez Houles, rue Saint Nicolas, au milieu des passementeries, passepoils et autres garnitures. Le coton mercerisé chatoyait. Je choisissais les couleurs de ces ganses afin de les assortir aux tissus sélectionnés pour les rideaux de mes clients.
- J’y passais des moments délicieux.
- D’emblée, j’ai passionnément aimé ce métier !
- Et puis, je furetais dans les cours, j’y rencontrais les artisans, qui, héritiers pour certains de grandes lignéesd'ébénistes, accomplissaient un travail d’exception.
Longtemps j’ai travaillé avec eux, malheureusement, les dynasties s’épuisent, car ce sont des métiers difficiles.
- Le travail issu de la main de l’homme n’est plus reconnu. Trop onéreux pour le commun des mortels, il ne subsiste, que grâce aux commandes de certains architectes et décorateurs, dont je fais partie. Petit à petit, nous perdons une vraie richesse.
- Jusqu’au bout j’essaierai de travailler avec ces hommes qui portent l’amour de leur métier comme une bannière !
- Je ne le répèterai jamais assez…j’ai adoré ce faubourg.
- J’avais l’impression d’y être née. Je connaissais tout le monde…
Je passais de magasin en magasin, saluer les uns, embrasser les autres, j’étais en symbiose avec tous ces personnages à l’humour décapant, qui dans un éclat de rire tragique me montraient leur numéro de téléphone inscrit sur leur avant bras… Une ironique manière de dédramatiser leur douleur!
- Tu ne peux imaginer la mienne lorsque je vis pour la première fois ces chiffres gravés dans la chair de l’homme par la main de l’homme…
L’Homme : comment associer ce mot si beau à cette abjection…
Avec eux j’appris à rire beaucoup de moi-même et un peu des autres aussi!
- Se promener dans ce quartier, c’était à coup sur découvrir un passé glorieux fait de sueur et de sang.
- Chaque immeuble, bien souvent abimé par l’érosion du temps, chaque cour étaient une encyclopédie à ciel ouvert. Les murs parlaient à ceux qui savaient les entendre et les écouter ! Ils transpiraient la petite histoire de l’histoire de France !
Derrière chaque façade, vous rencontriez des hommes désirant vous faire partager leur passion du travail bien fait, fiers du résultat obtenu, toujours en quête du Chef d’œuvre.
- Et puis les odeurs : des vernis, des colles, et celles, un peu sucrées des patines.
- Le bruit du marteau des tapissiers, des semences plein la bouche, tapant un siège, pour reprendre leur jargon, et les petits arpètes, qui pour leur bizutage, allaient chez le pharmacien, acheter :
- du sirop Decordome !
Tu veux m’expliquer ?
Du sirop Decordome, tu soignes quoi avec cette potion magique ?
- Je ne te dirais pas ce que tu veux entendre sortir de ma bouche, que tu juges trop prude !
- Disons, que le sirop Decordome soigne…..l’affaiblissement de la natalité, dans le monde. Responsable du baby boom, en quelque sorte!!!
- Es-tu satisfaite ?
- Depuis le temps, tu devrais savoir que je suis la reine des pirouettes.
- Chaque corporation avait ses règles, et ses devoirs.
- Pour l’apprenti, faire le tour de France pour parfaire sa technique, était
encore dans les années 66 quelque chose d’important. Puis, il revenait
au Faubourg, sûr et orgueilleux de son savoir, afin de relever le flambeau.
- Les compagnons du devoir défilaient tous les ans avec leur canne noueuse ou richement sculptée, dans notre faubourg.
C’était le retour des fils prodiges.