Madame Mitois, bignole moustachu et traîne savate, faisant parti des murs de
cet immeuble, est décédée tragiquement au mois d’août.
Tombée dans l’escalier vertigineux menant au deuxième sous-sol de l’immeuble
déserté par ses occupants friands de congés payés. Elle ne fut retrouvée que trois
semaines plus tard selon le médecin légiste, grignotée telle une biscotte par
des rats en goguette. C’est le nouveau propriétaire du cinquième gauche, désireux
de connaître les parties communes de l’immeuble et attiré par une odeur entêtante
qui fit la macabre découverte.
Recroquevillée contre le mur en parpaings fermant l’entrée de ce sous- sol, qui de
mémoire de Monsieur Charles , selon les dires des anciens locataires, était muré
depuis très longtemps, elle gisait, vidée de sa substance.
Il y eu enquête, examen des lieux, interrogatoires des occupants, qui ont omis de
parlé de la guerre sournoise que se livrait Monsieur Charles et la pipelette, pas
très estimée, il est vrai.
Entre gens courtois, les langues savent se taire. Les ragots de couloirs ne
doivent pas sortir de l’immeuble.
D’ailleurs Monsieur Charles était en vacances à Cannes,un homme si charmant,
pensez donc.
Qui se soucie de cette femme sans famille, à part son matou aussi miteux qu’elle,
réfugié chez la commère d’en face.
C’est drôle comme certains chats sont destinés à vivre leur vie durant
dans de minuscules loges à l’abri des coups de soleil !
La police a conclu à un accident, et ôté les scellés apposés sur la porte de la
conciergerie, le temps de l’enquête.
Ses Charentaises sans âge, simplement enfilées n’avaient pas fait bon ménage
avec les marches usées, épaufrées, d’inégale hauteur.
- Que faisait-elle dans cet escalier, pense Julia ?
Depuis toujours intriguée par ce mur, elle aimerait pouvoir le faire ouvrir et
explorer ce tréfonds.
Peut être mène-t-il jusqu’aux catacombes ?
Qui peut se vanter de connaître Madame Mitois ?
Les marchandes de quatre saisons ?
Certainement ses seules copines; le mot est inapproprié, plutôt des relations
de trottoirs.
Certaines vous diront qu’elle était veuve de la grande guerre, d’autres qu’elle
avait un fils, disparut comment ? L’énigme reste entière. Il avait seize ans pour
certains,
plus âgé pour d’autres. Mais avait-elle un fils ?
Longtemps, sa jupe d’un autre âge balayant le macadam, son dialogue avec
elle-même ponctué de balancements de tête mettant en péril sa chevelure
mitée de gorgone fatiguée, hanteront l’avenue.
L’assistance s’étonnera, lorsque Madame Andréas précisera qu’elle était née
à Paris, en 1900.
62ans…cette femme sans âge, avec sa solitude pour seule compagne, restera un
mystère pour cette copropriété.
Décédée, elle prenait de l’ importance, mais il était trop tard.
extrait de: 46 Gobelins...la concierge est dans l'escalier copyright